vendredi 27 avril 2007

Flashback : les bâtisseurs oubliés d'Expo 67

(Aujourd'hui le site de la FTQ fait sa 'une' avec la chronique historique du dernier numéro du Monde ouvrier. Je me suis permis de reprendre le texte ici (en l'agrémentant de certains des illustrations tirés du pdf du journal).

Montréal commémore le 40e anniversaire d’Expo 67
Expo 67 : les bâtisseurs oubliés


C’est avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain que la ville de Montréal s’est associée pour l’organisation des festivités marquant le 40e anniversaire d’Expo 67. On parle d’un grand festival des cultures, d’un héritage, d’un point tournant dans l’histoire de Montréal… Mais ceux et celles qui l’ont bâtie cette « Terre des Hommes », avec leur sueur et même leur sang, les a-t-on encore oubliés?

Un chantier hors du commun

À six mois de l’ouverture, environ 6 000 travailleurs s’affairaient sur le chantier de l’Expo. Le Monde ouvrier leur rend visite en mars 1967. Les ouvriers rencontrés sur le chantier d’Habitat 67 y travaillent depuis 34 jours, à raison de 10 heures par jour, sans aucune journée de repos! Le record historique du plus faible taux de chômage au Québec, soit 4,1 %, fut enregistré en 1966, en grande partie à cause des travaux sur le site de l’Expo.

Mais déjà, le Monde ouvrier d’alors s’interroge : quand l’Expo ouvrira ses portes, « est-ce qu’on se rappellera encore, à ce moment, les hommes qui ont édifié, jour après jour, nuit après nuit, chacune des parties de la « Terre des Hommes »? Qui s’en rappellera quarante ans après…?

Et quels travaux!

En dix mois, pour agrandir les deux îles sur le fleuve Saint-Laurent, il fallut transporter 15 millions de tonnes de terre et de roche. Les deux plus puissants dragueurs au monde excavèrent 6 825 000 tonnes du lit du fleuve. Le reste fut transporté par camions des excavations du métro de Montréal.

Il a fallu voir à l’érection, entre autres, de 847 édifices, 27 ponts, 51 milles de routes ou de chemins piétonniers, 23 milles d’égoûts et de tuyaux d’écoulement, 107 milles de canalisation pour l’eau, le gaz, l’électricité et l’éclairage. Il fallait aussi installer ou aménager des espaces de stationnement pour plus de 24 000 véhicules, 14 950 acres de gazon, 898 000 arbustes, plantes et bulbes, 256 piscines, fontaines et sculptures, des bancs pouvant asseoir 6 200 personnes, 4 330 bacs à déchets et 6 150 fixtures d’éclairage extérieur!

L’apport du mouvement syndical

En éditorial, dans sa livraison de juin 1967, Le Monde ouvrier, brosse le portrait de la situation :

« Il y a cinq ans, quand le maire Jean Drapeau entreprit d’obtenir pour Montréal l’Exposition universelle de 1967, c’est dans l’enthousiasme et l’unanimité que le syndicalisme métropolitain, FTQ comme CSN, prit l’engagement d’éviter toute grève depuis la mise en chantier jusqu’au démantèlement de la Terre des hommes. (…) Il importe de se rappeler que la renonciation à la grève constituait alors une condition essentielle à la venue ici de l’Expo 67, que sans elle il n’y aurait pas eu d’Exposition universelle, du moins pas à Montréal. »

« C’est pourquoi, en retour de leur renonciation à l’exercice du droit de grève, les syndiqués ont alors exigé et obtenu des garanties formelles visant à protéger les travailleurs de l’Expo contre toute forme d’exploitation. C’est ainsi qu’on a mis au point un mécanisme d’arbitrage des différends sur les salaires et les conditions de travail, de même que sur les conflits de juridiction entre la FTQ et la CSN, ou entre affiliés des deux centrales. »

Pas une mince tâche qui attendait l’ex-conseiller juridique de l’Association de la Construction de Montréal devenu directeur des relations de travail à la Compagnie canadienne de l’Exposition universelle de Montréal, Me Jean Cournoyer, futur ministre du Travail, d’abord dans un gouvernement de l’Union Nationale, puis du Parti libéral.

« D’ailleurs, si l’Expo 67 est une réussite et fait la joie de tous, ce n’est certainement pas aux employeurs qu’on le doit. On connaît leur réticence à commanditer des pavillons; on connaît moins et même pas du tout, leur intransigeance stupide et dangereuse au sein de l’organisme créé par l’Expo pour veiller à l’application de la convention collective de travail. Nous estimons que les travailleurs peuvent être fiers de s’être imposés librement certaines contraintes commandées par le sens de l’hospitalité, plutôt que de s’être faits asséner des lois extraordinaires comme les propriétaires d’hôtels et d’appartements ». (On fait référence ici au « scandale de Logexpo », alors que des touristes furent inscrits dans des motels inexistants ou insalubres et que l’hypothèse de la corruption fut publiquement soulevée et vertement dénoncée dans Le Monde ouvrier).

Une « EXPO » pour l’élite?

Le Monde ouvrier se fait le porte-parole des travailleurs visités sur le chantier. On vient d’annoncer qu’on présenterait, durant l’Expo, un visage immaculé de la ville, sans chantiers. Devra-t-on aller travailleur en dehors de la ville, peut-être dans d’autres provinces? Mais il y a plus frustrant.

« Les actuels bâtisseurs de la « Terre des Hommes » ont la conviction que les meilleures parts ne seront pas pour eux. Ils ont l’impression qu’il faudra dépenser beaucoup d’argent pour pouvoir assister aux meilleurs spectacles, pour dîner dans les meilleurs restaurants de l’Expo. Eux qui ont bâti l’Expo devront se contenter de participer à ce qui est gratuit, à ce que l’on réserve aux humbles de la terre. La frustration perce dans leur propos. Ils acceptent mal qu’une élite, toujours une élite, se réserve des spectacles pour fins gourmets des yeux parce que tout est basé sur la capacité de payer. Ils auraient souhaité, et n’ont-ils pas raison, venir visiter une « Terre des Hommes » où tous les hommes, du moins pendant six mois, auraient été sur le même pied, riches comme moins riches. »

28 avril 1967- 28 avril 2007

Inaugurée par « l’élite » des dignitaires la veille, c’est le 28 avril 1967 que s’ouvrent les guichets pour le grand public. Pendant 185 jours, plus de 50 millions de visiteurs visiteront l’Expo, qui clôturera ses activités le 29 octobre.

Le 4 septembre, c’est la Fête du Travail. Place des Nations, 10 000 travailleurs et travailleuses assistent à un spectacle de Gilles Vigneault et de Pauline Julien.

On peut y voir Donald McDonald, représentant le CTC et la CISL, Marcel Pepin de la CSN, Louis Laberge et Gérard Rancourt de la FTQ.

On couronne, pour une des dernières fois, « Miss Étiquette syndicale », la consoeur Pauline Goulet, de l’Union du Tabac, représentante du Conseil du Travail de Montréal.

Mais un autre événement est beaucoup moins festif. On dépose deux couronnes de fleurs en l’honneur des 10 ouvriers tués lors de la construction de l’Expo, victimes d’accidents du travail, ceux-là doublement oubliés parmi tous les travailleurs et les travailleuses qui ont permis la réalisation d’Expo 67.

Le syndicalisme a été présent à chaque instant de cette réalisation.

Alors, pour nous, les oubliés du 40e, pourquoi ne pas consacrer une pensée toute spéciale, le 28 avril prochain, Journée commémorative des victimes des accidents du travail, à ces dix travailleurs morts au combat, comme Saint-Exupéry, l’inspirateur de la « Terre des Hommes ». Et tant pis pour l’élite amnésique de 2007, nous les fils des bâtisseurs de 1967 nous en rappellerons.

Le Vieux Gustave

Source: Le Monde ouvrier

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