mardi 8 mai 2007

À signaler - Le gratuit qui fait jaser

Prenant prétexte d'une visite des représentant-es des lockoutés du Journal de Québec à l'assemblée générale de la FPJQ, Paul Cauchon (du Devoir) revenait hier sur l'expérience du MediaMatin Québec.

Le gratuit qui fait jaser

Ils ont surpris tout le monde. Mis en lock-out par leur employeur, les journalistes et employés du Journal de Québec ont lancé un journal gratuit en guise de moyen de pression. Et ça marche fort.

À Québec, c'est le sujet de l'heure. Le matin de la parution du MédiaMatinQuébec, les 40 000 exemplaires gratuits se sont envolés en 90 minutes. Toutes les radios saluaient l'arrivée du petit nouveau.

Des citoyens offrent leurs services pour distribuer bénévolement le journal. Des chauffeurs d'autobus font monter les camelots pour qu'ils distribuent le journal dans le véhicule. Des chauffeurs de taxi le donnent spontanément aux visiteurs. Dans un immeuble gouvernemental, on a fait entrer les camelots pour qu'ils le distribuent à l'étage. «Nous avons un accueil extraordinaire de la population», s'exclame Denis Bolduc, président du syndicat des journalistes en lock-out et éditeur du nouveau journal.

Il faut dire que le journal est particulièrement réussi, avec 24 pages en couleurs de belle qualité, bien imprimé (à Montmagny), avec de belles photos... et pas de publicité.

Denis Bolduc et deux de ses confrères étaient de passage à Montréal ce week-end, pour raconter leur expérience devant des membres de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

Tout le monde s'en doutait, mais les trois hommes l'ont confirmé à la FPJQ: la publication de ce journal n'a pas été improvisée. Les employés du Journal du Québec affirment avoir eu plusieurs indices tout au long de l'automne montrant que Quebecor se préparait à un long conflit. Après le dépôt des offres patronales le 1er décembre, l'idée est apparue de lancer un journal gratuit comme éventuel moyen de pression si la négociation tournait mal.

Denis Bolduc affirme même que le projet était prêt dès le 23 janvier, alors que l'employeur obtenait le droit de lock-out. Ce qui étonnant, c'est qu'il soit resté secret pendant trois mois! Lorsque Quebecor a décrété le lock-out en avril, le soir même Bolduc et son équipe informaient tous les syndiqués du projet, et le lendemain tous se mettaient à la tâche pour produire une première édition le mardi 24 avril.

On avait même signé une entente avec l'Agence France-Presse pour obtenir des dépêches d'information internationale. Mais il a quand même fallu apprivoiser des nouveaux ordinateurs et une nouvelle maquette en une seule journée, ce qui a représenté un petit miracle.

Donc les employés en lock-out «trippent», et Quebecor n'apprécie pas du tout. Vendredi dernier, la Cour supérieure entendait une demande d'injonction formulée par l'employeur, plaidant le manque de loyauté des employés et la concurrence déloyale. Le tribunal rendra sa décision d'une journée à l'autre. Si la publication n'est pas interdite, les employés affirment n'avoir aucun problème à publier cinq jours par semaine pendant un an.

La population de Québec apprécie beaucoup, mais il ne faudrait pas qu'elle s'attache trop au nouveau quotidien: Denis Bolduc répète que la publication se terminera «le jour où l'on retournera au travail». Le journal est payé grâce à l'appui du Syndicat canadien de la fonction publique, et Denis Bolduc ajoute que «nous n'avons pas de salaire à payer, ce qui est un gros avantage». On ne saurait mieux dire. Les artisans de ce journal sont payés à même leur fonds de grève, que l'on imagine assez fabuleux, compte tenu des salaires fort élevés des journalistes du Journal de Québec et du Journal de Montréal, les mieux payés de la profession. Un des objectifs de Quebecor est d'ailleurs de mettre fin à des conditions de travail qu'il juge hors de proportion avec les nouvelles réalités économiques.

Ce n'est pas la première fois que des journalistes en conflit de travail publient un journal «pirate» comme moyen de pression. Les journalistes de La Presse l'avaient fait en 1971. Les journalistes de La Tribune l'ont déjà fait aussi.

Un cas particulier

Mais le cas du MédiaMatin est très particulier. Car il survient en pleine montée des journaux gratuits partout dans le monde. Quebecor caressait d'ailleurs l'idée de lancer éventuellement un gratuit à Québec, alors qu'à Montréal on en compte deux, le Métro du groupe Metro, et le 24h de Quebecor. En deux semaines à peine, MédiaMatin semble avoir prouvé l'intérêt des habitants de la capitale pour un tel produit. Encore faudrait-il pouvoir le payer en suivant les véritables règles économiques, c'est-à-dire avec de la publicité, et avec des employés sûrement moins payés que ceux du Journal de Québec!

Si vous vous interrogez encore sur la pertinence des gratuits, sachez que plusieurs grands éditeurs dans le monde en sont déjà rendus à la nouvelle génération des gratuits, qu'on appelle les «gratuits de qualité», douze ans après les débuts du groupe suédois Metro.

Lors du congrès annuel de l'Association mondiale des journaux, qui se tiendra en Afrique du Sud en juin, un des principaux sujets de discussion sera l'émergence des gratuits de «seconde génération», qui commencent à déferler dans les pays scandinaves, les gratuits qui ne font plus seulement dans l'information brève et factuelle, mais qui offrent maintenant beaucoup plus de contenu, des opinions, et un point de vue éditorial.

La popularité du MédiaMatin tient aussi à une autre facteur: la prédominance de la nouvelle locale. «Nous sommes en train de faire la preuve que les gens veulent plus de nouvelles locales, et nous le disions souvent à notre employeur», déclare Denis Bolduc. Depuis deux semaines, l'accueil fait à ce journal à Québec témoigne d'une soif d'information locale et d'un rejet de la «montréalisation de l'information», alors que Le Journal de Québec reprenait souvent des textes du Journal de Montréal. Les groupes de presse s'en souviendront-ils lorsque ce conflit sera terminé?

pcauchon@ledevoir.com

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