vendredi 16 février 2007

Portrait d'une tête de cochon...

Quand j'ai lu mardi, dans Le Soleil, que la Davie allait rappeler 600 travailleurs, j'ai eu une pensée pour Richard Gauvin. Je ne connaît pas le monsieur, mais je sais que c'est le président du syndicat du chantier. Depuis que je suis à Québec, c'est l'une des têtes de turcs des animateurs de radio poubelles et des chroniqueurs de la presse populiste. À les entendre, s'était de sa faute à lui (personnellement!) si le chantier était en faillite. Aujourd'hui, il pourrait triompher. Mais non... En tout cas, Perspectives CSN a publié un portrait de lui dans son dernier numéro. Je me permet de le republier ici. Un portrait de syndicaliste, c'est pas assez hot pour les grands journaux, et pourtant, on aurait tous à apprendre de bonhommes comme lui.

Industries Davie
Quand il a fallu s’obstiner à faire face aux vents contraires


par Michel Crête

Lundi, 16 octobre, Industries Davie : il y a de l’activité dans l’air au local du syndicat. Trois jours auparavant, on a annoncé, après bien des reports, l’achat au coût de 28,4 millions de dollars du chantier naval par la norvégienne Teco Management avec l’aide du gouvernement du Québec et de la Ville de Lévis. En faillite depuis cinq ans, les Industries Davie devaient être liquidées le 23 octobre. Un vent d’espoir souffle sur la région : neuf cent cinquante travailleurs toujours sur la liste de rappel, de nombreux commerçants, des fournisseurs et Lévis attendaient depuis des années cette nouvelle économique vitale pour la région.

La détermination

Richard Gauvin n’est pas le seul responsable de cet aboutissement heureux et il s’en défend bien. Cependant, bien des gens autour de lui estiment que son acharnement, son obstination, diront certains, y a été pour quelque chose. « C’est un combattant, il y a toujours cru, lui, à la relance du chantier », lance Mario Cournoyer, vice-président de la Fédération de la métallurgie de la CSN. Richard Gauvin est le président du Syndicat des travailleurs du chantier naval de Lauzon (CSN). « C’est un gars déterminé et très dévoué à ses membres et à la communauté. Il fallait y croire, il fallait être convaincu pour rester à la barre du navire pendant la tourmente. Oui, ça prend quelqu’un qui y croit à l’entreprise et à la qualité du travail pour se donner comme ça. Quelque part, c’est de l’humanisme », ajoute Pierre Pelchat, journaliste au quotidien Le Soleil.

Alors que d’autres auraient fait leurs bagages, Richard Gauvin, appuyé par ses camarades, a persévéré, naviguant dans les eaux troubles.

« Malgré ses nombreux détracteurs, qui l’ont attaqué personnellement, dont des animateurs de radio et des élus, qui auraient fermé le chantier ou le vouaient à l’échec, Richard n’a jamais hésité à défendre les travailleurs et le chantier lui-même. Il s’est investi bien au-delà de ses responsabilités syndicales, parfois au détriment de sa propre santé. Je l’ai vu aider des travailleurs qui avaient des problèmes familiaux ou personnels et organiser, avec la région, des campagnes pour les familles des travailleurs acculées à la misère », raconte Ann Gingras, présidente du Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches (CSN).

Le partage, la solidarité

Mais d’où lui provient-elle, cette force de caractère ? Natif de la paroisse Notre-Dame-des-Victoires (place Royale), à Québec, Richard Gauvin est issu d’un milieu très pauvre. « C’est ma mère qui a gagné notre vie, à mon frère et à moi, notre père était gravement malade », se rappelle-t-il. C’est à l’école de la vie que j’ai appris à donner. Quand il y en avait pour un, il y en avait pour trois, pour quatre. J’ai toujours eu de la misère avec l’injustice. L’enfance, dans mon milieu, c’était le partage et la solidarité. C’est peut-être là, l’origine de mon implication syndicale », nous confie-t-il.

De Notre-Dame-des-Victoires, on a une vue sur la Davie. Inspiré par cette vision ou mené par les hasards de la vie, il a fini par traverser le fleuve pour s’y faire embaucher. Après un passage de deux mois en 1972, il y est revenu définitivement en 1975 comme ébarbeur (1). Délégué de nuit, représentant en santé-sécurité, vice-président, puis président du syndicat depuis 1992, Richard Gauvin a pu compter sur la CSN pour se former et accomplir ses tâches : « Durant mes moments libres, je lisais la loi en santé-sécurité au travail, je m’informais sur les responsabilités de l’employeur, je suivais des sessions de formation de la CSN. Tout cela m’a donné beaucoup confiance en moi. Plus j’avais de connaissances, plus je me renforçais et plus j’y gagnais en crédibilité. »

Un long combat

On pousse un soupir de soulagement, mais on a passé des années difficiles. À la suite de la faillite de Dominion Bridge, qui a entraîné la perte de Davie, « il a fallu se positionner pour rester dans le marché dans l’espoir d’obtenir des contrats pour faire travailler notre monde », précise Richard Gauvin. En mars 1995, au terme d’une assemblée générale qui a duré plus de neuf heures, les travailleurs ont, par une faible majorité, accepté une convention collective modifiée contenant des assouplissements difficiles à avaler : baisse de salaire, flexibilité et regroupement des métiers, etc. L’objectif ? Maximiser l’efficacité de l’organisation du travail. « Ce n’était pas de gaieté de coeur. Il fallait faire des sacrifices. Nous n’avions pas le choix. Sans cette décision, nous ne serions plus là. Aujourd’hui, je crois que la grande majorité des travailleurs sait que c’était nécessaire. », estime le militant syndical.

Cinq ans, dix ans, quinze ans dans la tempête, c’est long. « Depuis tout ce temps-là, la survie du chantier, c’est un combat de tous les instants. Cet été, cela a été particulièrement dur. Heureusement que nous avons réglé la convention collective, le 11 août. Autrement, on nous aurait attribué l’échec de la vente du chantier si elle ne s’était pas réalisée, confie Richard Gauvin. Maintenant, j’ai hâte que la cale sèche se remplisse. »

L’annonce de la transaction a eu lieu le 13 octobre. Le lendemain, Richard Gauvin a célébré son 53e anniversaire de naissance. Tout un cadeau !

Notes:

(1) Ouvrier qui débarrasse les pièces coulées de tous les excédents de métal formés par les bavures, les jets de coulée, les évents, etc.


Source: Perspectives CSN

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