dimanche 22 juillet 2007

Vacances, un beau projet

Une dernière réflexion pour ne pas bronzer idiot...

Les vacances sont un temps béni. Rupture du temps de la quotidienneté. De l’affairement et du devoir. Le travail y suspend sa cadence. Chacun est invité au voyage, au regard dépaysant. À la marche lente de celui ou celle qui n’a plus de but, sinon de goûter le temps qui passe. Le paysage révèle ses recoins qu’il gardait jalousement secrets. Les choses dévoilent un peu de leur chair, leur peau douce et désirante. La mer sauvage et nue, la montagne touffue ou rocheuse, rebelle, la campagne odorante, habitée par les voix multiples des bêtes et du vent, la ville sage et heureuse, un chez-soi d’ombre et de silence, des livres qui tendent leurs bras et nous chuchotent des mots tendres, qu’on aime à entendre encore et encore. C’est aussi le temps de l’amitié, des jeux et d’un autre travail inutile qui reprend ses droits. Chemin sans but, lent écoulement de présences fraternelles.

Les vacances sont l’acquis de luttes ouvrières. Enchaînés à la production dévorante, à la cadence incessante du profit et de la matière, les travailleurs en ont fait une revendication libératrice. Ils ont arraché du temps pour soi. Les patrons ont négocié ce temps consacré à la reproduction des forces de travail. Mais, pour les travailleurs, cela signifiait aussi autre chose : gagner son pain, ce n’est pas seulement ce qui compte. La gauche porte comme rêve éveillé et tenace l’avènement d’une société libre et égalitaire, où le travail s’épanouit dans la vie politique et collective, dans l’activité artistique et artisanale, c’est-à-dire délivrée de l’exigence productive et rentable. La vie dans la liberté.

Le temps c’est de l’argent, dit le vieil adage capitaliste. Les gens d’argent et de pouvoir aiment joindre l’utile à l’agréable, fondre vacances et travail. L’image des hommes d’affaires jouant ensemble une partie de golf n’est pas seulement d’Épinal. Elle traduit leur centration sur le profit. Rien ne peut lui échapper. C’est là tout l’enjeu.

Combien encore jouiront de peu de vacances, asservis à des semaines harassantes? Combien rêveront d’être délivrés de la chaîne du temps? Combien ne pourront pas même penser à ce repos, encore moins le prendre, contraints par les conditions de travail, forcés à faire tourner la roue du profit des autres? Combien ne pourront s’arrêter parce qu’ils courent et triment pour simplement survivre? La misère ouvrière est toujours bien présente. Même si on sait la cacher.

Les vacances sont au cœur d’un projet de société. Elles rappellent deux choses essentielles. Un, que les rôles sociaux, les fonctions quelles qu’elles soient, ne clôturent pas le cycle de vie. La vie est ouverte à autre chose qu’à la nécessité et aux besoins. Elle est ouverte à soi, aux autres qui nous habitent, au tout Autre qui creuse en nous le désir et la parole. Cette ouverture est la texture même de l’existence. Le rêve est en cela la face cachée du besoin, la brèche de la réalité d’où sourdent des voix de la nuit des temps, des vaincus, des broyés des pouvoirs implacables et des laissés-pour-compte, des multitudes laissées en rade par les maîtres pressés du présent. Leurs voix plus fortes que la mort et leur silence imposé, contre vents et marées, professent une chose qui nous lient à eux, comme des êtres sans destin : le monde où chacun est jeté dans l’existence doit devenir, par l’action libre et solidaire, sœur du rêve, une habitation humaine pour tous. Et le bonheur est dans cette œuvre.

L’autre chose que les vacances révèlent, corollaire de ce qui précède : le monde qui nous entoure n’est pas qu’un inventaire de marchandises ou de matières premières, de ressources exploitables, renouvelables ou non, énergies potentielles livrées à la production sans fin. Le monde est musique, danse, chant, jeu, parole et poème. Il est cette chair qui nous permet de toucher les choses et les êtres, faite de symboles, d’images, de mots hérités autant que de matières. L’appel de façonner le monde en habitation humaine vient du dedans de nous, certes, parce que c’est la seule manière d’être véritablement soi, mais il provient aussi du profond du monde lui-même : de la mémoire têtue des révoltes passées, des croix levées sur les passages des maîtres, des monceaux de têtes qui s’amoncellent sous leur palais. Devenir soi, c’est aussi faire siennes ces voix, faire qu’elles n’aient pas crié en vain.
Juillet signifie pour l’équipe de Relations vacances. Août le retour au travail. L’un et l’autre de ces temps tissent pour nous ce même désir de vivre et d’être humains.

Jean-Claude Ravet (7 juin 2006)


Les radicaux ne sont pas toujours où l'on pense. Ce texte est extrait de la revue Relations (publié par des cathos de gauche, sous le patronage des jésuites!).

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