Confrère Massé,
Je suis extrêmement déçu de votre position sur Rabaska. J’avais déjà exprimé un point de vue contraire au vôtre et à notre Centrale dans une critique de la position d’À Bon Port, que la FTQ soutient, parue dans le Journal de Québec (avant le lock out) il y a quelques mois. Je reste sur mon opinion d’alors.
La revendication de travail pour nos membres sera encore longtemps légitime. Tout aussi longtemps que le travail sera une rareté engendrée par le système capitaliste pour mettre en concurrence les travailleurs et garder bas les salaires. Nous aurons longtemps encore à réclamer que ce travail salarié ne soit pas acheté à vil prix par les entrepreneurs et propriétaires des moyens de production. La question de Deschamps sur les « unions qu’ossa donnent ? » a trouvé une réponse parmi les ouvriers eux-mêmes.
Mais il faudra bien un jour aussi réclamer une sorte de travail qui ne soit pas une menace à l’humanité entière, un travail qui, en nous permettant de continuer de gagner notre vie honorablement, ne mettra pas en péril l’avenir même de la planète. Déjà une partie de ce travail qui nous revient consiste à réparer les gaffes du passé. Je parle de la décontamination, par exemple, véritable exigence dans bien des chantiers. Nous réparons des erreurs malheureuses presque entièrement provoquées par une négligence aveugle devant les avertissements des écologistes. Il n’y a plus de morues à pêcher. La forêt québécoise a été saccagée et des milliers d’emplois perdus par ce genre d’insouciance. Pourtant, on est placé devant le fait aberrant que les affaires continuent pour les compagnies forestières. Domtar vient d’être vendu à un autre de ces avides encaisseurs de profit au détriment des emplois.
Vous étiez de la manifestation pour l’application de Kyoto. Vous constaterez avec moi la contradiction : Rabaska sera à la source d’une production de gaz à effet de serre que l’on tente de limiter par Kyoto, justement. Notre dépendance maladive ( Bush parle d’une « habitude » comme à une drogue dure) aux combustibles fossiles fragilise le climat et la planète entière. Il est hors de question, si nous voulons nous perpétuer comme espèce faisant partie de la nature elle-même, de continuer à miner sous nos pieds nos moyens d’assurer notre subsistance. Notre travail doit donc tenir compte, tout autant que notre sécurité et santé personnelles, de ce que nous détruisons d’écosystèmes qui nous maintiennent en vie. Verra-t-on un jour, inscrit dans nos conventions, le droit de refuser un travail polluant comme pour un danger pour notre survie personnelle ? C’est à souhaiter.
Mais pour le moment, il faut cesser l’aveuglement suicidaire qui nous fait réclamer un travail sans les considérations pour ses conséquences sur notre environnement. Vous vous souvenez peut-être des grandes mobilisations sur le désarmement nucléaire. Les pacifistes de la planète débattaient, comme le font maintenant les écologistes et les scientifiques, d’enjeux fondamentaux pour l’humanité. Pour ne pas que leurs revendications de désarmement heurtent les travailleurs qui exerçaient leur métier dans ce domaine, beaucoup de pacifistes ajoutaient à leurs exigences celle de la reconversion des usines d’armement au civil. C’était une manière de reconnaître que les demandes de travail pour notre classe étaient, non seulement légitimes, mais tout à fait compatibles avec une société humaine débarrassée du péril nucléaire. Nous avions donc devant nous des progressistes (le mot est à la mode) qui prenaient en compte les nécessités d’un travail rémunéré pour le plus grand nombre, y compris ceux qui risquaient de produire la plus imminente menace de l’hiver nucléaire et la survie même de l’espèce humaine.
Les questions écologiques peuvent paraître provoquer des débats sur le sexe des anges, mais il serait peu sage et risqué de les balayer sous le tapis comme des problèmes de peu d’importance : la forêt boréale québécoise y a goûté et nous nous en mordons tous les doigts en solidarité avec les travailleurs forestiers.
Je comprends mal qu’un syndicaliste averti comme vous l’êtes de ce que peut engendrer de méfaits le capitalisme sauvage, dans l’état où il est maintenant, ne manifeste pas plus d’intérêt pour ce qui motive bien des mesures écologiquement durables, le principe de précaution. Il faudrait aux ouvriers des explications éducatives sur ce principe qu’ils appliquent souvent en exerçant leur droit de refus d’un travail dangereux. Le courage d’expliquer les conséquences néfastes, reconnues par le BAPE, pour bien des nôtres, de l’édification d’un port méthanier à Lévis, ou où que ce soit ailleurs, révélerait un sens des responsabilités de longue portée que les ouvriers seraient les premiers à considérer comme un signe de clairvoyance, tout aussi pragmatique que celui pour leur sécurité-santé, de la part d’un leader qui sait pourtant s’affirmer et prendre position sur bien d’autres sujets controversés.
Il est regrettable que vous ne considériez l’opposition à Rabaska dans Lévis et au Québec que comme une sorte de précaution louable mais nuisible à une possibilité de travailler qui, elle, sera à coup sûr destructrice pour l’environnement planétaire. Ce sont des enjeux politiques que la FTQ aura bien un jour ou l’autre à prendre en compte si elle veut s’attirer un respect des écologistes ou de tous ceux qui sont à même de comprendre les exigences de travail pour nous, mais qui souhaitent aussi que ce travail soit avant tout utile au bien commun plutôt qu’à l’enrichissement d’une minorité de patrons incapables par eux-mêmes de peser le pour et le contre de leurs investissements même avec toute une batterie d’experts à leur service.
Ce travail salarié dont nous vivons devra bien trouver un jour aussi un aboutissement autre que la soumission perpétuelle des ouvriers aux acheteurs marchands de notre potentiel de construire. Eux qui s’aveuglent devant les préoccupations d’avenir pour l’humanité ( 37 % de l’économie des États-Unis, encore la plus polluante sur terre, est plus ou moins lié à l’armement) devraient au moins rencontrer sur leur chemin des syndicalistes et des ouvriers de base qui se soucient de voir un jour le salariat, ce « dernier esclavage », transformé en « une libre association des producteurs » maîtrisant leur destin, et comme travailleurs, et comme Québécois.
Solidaire quand même,
Guy Roy, toujours fier délégué syndical à la FTQ
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