mardi 12 décembre 2006

Lire entre les lignes

Un exercice de propagande

Fait rare, la direction du Journal de Montréal, suivie par celle du Journal de Québec, a décidé de se pencher sur le phénomène syndical au Québec. Plutôt que de mettre des journalistes sur le coup et de faire une grande enquête, le Journal a préféré commander un simple sondage et étirer le dévoilement sur 3 jours (19, 20 et 21 octobre 2006). À mon avis, nous avons affaire là à une belle campagne de propagande.

Jeudi matin, la série débute et le Journal titre en « une » : « les syndicats ont trop de pouvoir ». Malgré ce titre catégorique, on apprend dans le texte du Journal que 51% des québécois pensent que les syndicats ont trop de pouvoir. On y apprend aussi que « les québécois » ont une mauvaise opinion des leaders syndicaux (59%). Finalement, une majorité des sondés (57%) ont une opinion favorable des syndicats en tant que tel.

Vendredi matin, la série se poursuit par un sondage commandité par le Conseil du patronat (bonjour la crédibilité!) qui nous apprend que la majorité « des québécois » favorise la tenue de vote secrets plutôt que la simple signature de cartes de membres pour la fondation de nouveaux syndicats. Comme la question n’a pas été posée, on ne saura jamais si la population est d’accord avec l’ingérence patronale dans le processus de syndicalisation.

Finalement, samedi le Journal titre : « l’apport syndical limité à la négociation ». Alors que la question était « Dans la société d’aujourd’hui, les syndicats sont-ils encore utile pour…? », le journaliste nous apprend que « les québécois » pensent que les syndicats ne contribuent pas au développement économique, sont un obstacle aux investissements et un frein à la productivité (il y a comme une glissement, non?). On apprend également, comme ça en passant, que l’immense majorité des sondés pensent que les syndicats sont encore utile pour avoir de meilleurs conditions de travail (82%), de meilleurs salaires (78%), une meilleure sécurité d’emploi (74%) et de meilleures conditions de retraites (72%). Il s’agit là de la mission fondamentale des syndicats, c’est curieux que le Journal ne l’ait pas relevé.

On peut faire dire n’importe quoi aux chiffres. La question centrale est l’angle avec on les aborde. Il me semble évident que le Journal avait un angle précis et qu’il voulait passer un message en appuyant systématiquement sur les données les plus défavorables aux syndicats dans ses titres et ses articles. La preuve c’est qu’avec les mêmes chiffres, mais un autre angle, on aurait pu faire une série pro-syndicale :

Au lieu de titrer « les syndicats ont trop de pouvoir », on aurait pu titrer « Un québécois sur deux juge que les syndicats ont trop de pouvoir, les syndiqués ne sont pas d’accord », « les syndicats sont appréciés mais pas leurs leaders » ou, pour faire du pousse sur l’analogie avec la politique, « les syndicats sont plus populaires que leurs chefs ». Dans le même ordre d’idées, au lieu de « l’apport syndical limité à la négociation », on aurait facilement pu écrire « les syndicats encore utile pour négocier de meilleures conditions de travail » ou, carrément, « les syndicats font bien leur travail ».

Est-ce vraiment une coïncidence si, à peine quatre jours après avoir titré « les syndicats ont trop de pouvoir », Quebecor met en lock-out les pressiers du Journal de Montréal? Si cette série arrive au moment même où le syndicat de la rédaction du Journal de Montréal dépose une plainte au CRTC contre Quebecor? C’est quand même curieux, non?

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