dimanche 9 septembre 2007

Gros plan sur Média Matin Québec

À la fin de la semaine dernière, les syndiqués en lock-out du Journal de Québec ont remporté une nouvelle manche en Cour d'appel. En effet, la cour a décidé de débouter Quebecor qui contestait le droit des syndiqués de publier MédiaMatinQuébec. Tiens, pour fêter ça, je vous offre en avant-première un texte à paraître dans le prochain Droit de parole.

Gros plan sur Média Matin Québec
Depuis bientôt six mois, les habitantEs de Québec se font offrir tous les matins de la semaine un nouveau quotidien gratuit. Si ce journal existe, c’est que les employéEs légitimes du Journal de Québec n’ont pas réussi à s’entendre avec leur patron sur un nouveau contrat de travail et que ce dernier les a mis temporairement à la porte en décrétant un lock-out.

Média Matin Québec, c’est le moyen de pression que se sont donnés les syndicats des employéEs de bureau, de la rédaction et de l’imprimerie dans le bras de fer qui les oppose à Quebecor. Le lock-out au Journal de Québec est sans contredit le conflit de l’été à Québec. Pour en savoir plus, Droit de parole s’est entretenu avec Denis Bolduc, le porte-parole des trois syndicats impliqués dans le conflit.

Naissance d’un gratuit
En quarante ans d’existence, le Journal de Québec n’avait jamais connu de conflit de travail. Comment peut-on se préparer à une telle éventualité? « On voyait venir le conflit, confie le porte-parole syndical, quand on a vu les offres, au début décembre, on s’est dit ouain, qu’est-ce qu’on fait… on connaît notre patron et son historique de relations de travail (Vidéotron), on s’est dit soit on accepte, soit on va en lock-out ».

Il fallait trouver une façon de faire face à la musique. L’idée d’un quotidien gratuit est venue spontanément selon Denis Bolduc. « Un jour j’ai reçu un appel du photographe René Baillargeon, qui était sur le comité de négociation, et il m’a dit : Denis, il faut sortir un gratos ! S’ils nous rentrent dedans, on sort un journal gratuit, j’ai figé puis j’ai dit : Oui! C’est ça qu’il faut faire », se rappelle le syndicaliste.

« On a réalisé vite qu’on se frottait à une très grosse machine et que ce serait bon pour nous dans la population. » Selon Denis Bolduc, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a soutenu l’initiative dès le début. « On a développé l’idée de Média Matin Québec avec une équipe très restreinte, sans grandes ressources, se souvient-il, on se disait que c’était un maudit beau projet, mais on souhaitait ne pas l’utiliser ». Le plan de match des syndiquéEs est resté secret jusqu’à la fin, un véritable miracle dans le milieu des journalistes selon Denis Bolduc.

Un journal sans patron
Qu’est-ce que ça change de sortir un journal sans patron? Celui qui, en temps normal, est chef de pupitre au Journal de Québec prend une pose, songeur. « Les gens sont libres, lâche-t-il finalement, on leur donne les grandes lignes, ils partent avec ça et ça donne ce que ça donne. » Selon Denis Bolduc, plusieurs syndiquéEs étouffaient au Journal de Québec. Le quotidien de Vanier roule depuis toujours avec un staff minimum, hyper-productif. « Ça fait des années qu’on agrandit de l’intérieur et qu’on presse le citron des employéEs », dit-il. Selon lui, Média Matin Québec a permis de libérer la créativité et le talent des artisans du Journal. « Les gens se redécouvrent dans leur métier, dit-il, ils font ce qu’ils adorent avec l’appui de la population alors ça joue sur le moral des troupes. »

Au niveau du contenu, l’absence des patrons permet aux syndiquéEs d’expérimenter des choses qu’ils demandaient depuis des années. « Les photographes ont enfin de la place pour leurs photos!, illustre Denis Bolduc, au lieu de mettre trois petits clichés, on en joue juste un mais plus grand, c’est plus satisfaisant pour le photographe. » Le choix des sujets a aussi beaucoup évolué. « Ça fait 10 ans qu’on dit aux patrons que les nouvelles en provenance de Montréal prennent trop d’ampleur, que les gens veulent entendre parler de Québec [ndlr, le contenu produit à Québec même occupe en moyenne 30% de l’espace rédactionnel dans le Journal], explique Denis Bolduc, eux nous répondaient enlevez-vous ça de la tête la montréalisation de l’information, c’est un discours d’universitaires, si une nouvelle est bonne, elle est bonne, qu’elle vienne de Montréal ou de Québec. » Selon le syndicaliste, « on s’était un peu laissé endormir là dessus… mais on a fait la preuve que les gens de Québec aiment entendre parler de Québec. »

Pas d’appel au boycott… pour le moment!
Les lockouté-es du Journal de Québec n’ont pas encore appelé officiellement au boycott du journal produit sans eux et elles par leurs patrons. « On a fait un appel à un boycott d’un jour, pour donner un signal aux patrons et tester la réaction du public (qui a été bonne), dit Denis Bolduc, mais on ne fait pas d’appel au boycott… pour l’instant. » Les syndicats se gardent l’arme du boycott en réserve, au cas où le conflit dure trop longtemps. Denis Bolduc concède toutefois que c’est une arme à deux tranchants. En effet, rien n’indique qu’un lecteur du Journal de Québec qui se désabonne n’ira pas chez la compétition. Les journaux sont des bibittes fragiles et tout le monde se souvient que le Journal de Québec est devenu no 1 à la faveur d’une longue grève au Soleil…

Une expérience de lutte originale
Média Matin Québec demeure un moyen de pression qui cessera dès que les employéEs vont rentrer au Journal de Québec. D’après Denis Bolduc, l’expérience pourrait durer longtemps puisque pour l’instant Quebecor ne démontre aucune volonté de négocier et que le journal est au bord de l’autofinancement. Que restera-t-il de l’expérience? « Nous on va rentrer au travail avec la conviction d’avoir fait mieux que les patrons pendant le conflit, lance le syndicaliste, le reconnaîtront-ils? Je ne sais pas, je ne sais pas quelle sera la réaction des patrons mais une chose est sûre, plus rien ne sera comme avant… »

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