mardi 30 janvier 2007

Cent ans de solidarité


Le 11 juillet 1931, l’Action catholique* fait sa « une » avec le 25ème anniversaire de la Fraternité nationale et catholique des employés de tramways. Autres temps, autres mœurs, aujourd’hui plus personne ne s’intéresse à ça. En octobre dernier, le Syndicat des employés du transport public du Québec Métropolitain fêtait son centième anniversaire. 100 ans, il me semble que ce n’est pas rien dans notre histoire sociale! Silence radio dans les médias...

Des débuts timides

C’est en 1864 que débute, bien timidement, le transport en commun à Québec : il y avait 6 chars, de 12 à 24 passagers (selon que l’on soit l’été ou l’hiver), tiré par des chevaux. Les conditions de travail ne sont pas de tout repos : les journées durent quinze heures et commencent à cinq heure du matin. La paie est mauvaise : 8$ par semaines pour 6 jours de travail. À l’époque, il est rigoureusement interdit de se syndiquer et on pouvait finir en prison si on se risquait à faire la grève.

Les premiers tramways électriques (8) rentrent en fonction le 20 juillet 1897 pour compléter les 6 chars hypomobiles. Il y a à cette époque une cinquantaine d’employés qui gagnent 1,50$ par jour pour des journées de 12 heures. Depuis 1872, les travailleurs ont le droit de se syndiquer mais il faudra attendre 1906 pour que soit fondé la Fraternité nationale et catholique des employés de tramways. Ça prendra 14 ans à l’employeur pour reconnaître officiellement le syndicat (en 1920) et il ne le fera que pour écarter les syndicats internationaux qui échappaient à l’emprise de l’Église et qui étaient jugés plus combatifs.

À l’époque la Fraternité n’est vraiment pas combative. En fait, elle est sous la coupe de l’Église et d’une idéologie corporatiste (au sens premier du terme) qui prône la bonne entente entre patrons et ouvriers. La lutte de classe, c’est pour les communistes athées, pas pour les bons ouvriers catholiques. Les représentants des patrons et de l’Église sont donc invités à prendre la parole durant les événements organisés par le syndicat (incluant des pélerinages à la fin des années 1940!).

En 1938, le premier autobus fait son apparition à Québec. Les jours du tramway sont maintenant comptés. En 1948, c’est fini, le dernier tramway rentre au garage. On s’inquiétait peu à l’époque du prix à payer pour passer d’une technologie à l’autre. C’était le « progrès »... Abandonner le tramway a coûté 4,1 millions (sans compter la perte nette que constitue le remisage des tramways). Je ne serais pas surpris que, toute proportion gardée, ça nous coûte à peu près la même chose à réintroduire! Sans commentaire…

Révolution tranquille

Avant même le début de la « révolution tranquille » le syndicalisme catholique québécois fait l’expérience des limites de la théorie sociale de l’Église. De grandes grèves secouent la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC) à laquelle adhère la Fraternité. Grève de l’amiante en 1949, grève de Louiseville en 1952, grève de Murdochville en 1957, grève de Radio-Canada en 1959, autant de coups de tonnerres annonciateurs de temps nouveaux…

En 1960, le temps s’accélère. Le premier gouvernement Lesage est élu, c’est le début de la « Révolution tranquille ». Dans la foulée les syndicats demandent, en 1965, la municipalisation du transport public à Québec. En 1968, Québec vit sa première grève (une semaine) des chauffeurs d’autobus. Pas fou, ils veulent une clause de sécurité d’emploi en cas de vente ou de fusion de la compagnie. Ils ont eu raison puisqu’un an plus tard la loi créant la CTCUQ (ancêtre du RTC) était votée. Du coup, 7 compagnies privées sont expropriées et fusionnées. Les grands gagnants sont les usagers : les trajets et les tarifs sont uniformisés et dorénavant les gens n’ont plus qu’à payer une seule fois. C’est le début du transport en commun moderne à Québec, une vraie petite révolution. Au passage le syndicat des chauffeurs a gagné une bien plus grande force de frappe.

Combativité syndicale

La combativité presque légendaire des chauffeurs d’autobus s’est construite tout au long des années 1970 qui ont été ponctuées de plusieurs grèves très dures. En 1971, suite à une grève d’un mois, le syndicat gagne la semaine de 40 heures, 3 semaines de vacances après 3 ans de service, la cogestion du fonds de pension et le droit de participer au choix de l’assureur. En 1974, nouvelle grève de 49 jours pour améliorer la convention. C’est un match nul. De temps à autre, les chauffeurs n’hésitent pas à mener des grèves sauvage comme le 1er février 1977.

La plus longue grève de l’histoire du transport en commun à Québec a toutefois eu lieu en 1979. À l’époque, comme aujourd’hui d’ailleurs, la mode est à la précarité sensé tout régler. L’employeur veut introduire des chauffeurs à temps partiel et le syndicat ne veut rien savoir. C’est la grève. Et elle sera longue, tellement longue que la CTCUQ a le temps de constuire un nouveau garage! Neuf mois de grève qui se sont soldé par une victoire des chauffeurs. Mais à quel prix? C’est de là que date leur mauvaise réputation et leur mauvaise presse dans les médias. À partir de ce moment, les syndiqués ne peuvent plus compter que sur eux-même et leur rapport de force : fini la solidarité du public.

Pour conclure

Au fil des ans, les chauffeurs d’autobus ont gagnés leur place dans la classe moyenne et se sont doté de conditions de travail décentes. Depuis 30 ans, ils font face à une offensive patronale pour leur enlever ce qu’ils ont. Depuis la grève de 1979, la première a avoir été causée par une demande de concession, les seules négociations qui se sont déroulées sans conflits furent celles où l’employeur ne voulait pas faire de vague (avec Québec 84 ou plus récemment avant le 400ème). Autrement, à chaque fois il y a eu demande de concession et à chaque fois il y a eu résistance des chauffeurs et grève.

Dans une ville normale un syndicat avec une telle feuille de route servirait d’exemple et serait une fierté, mais pas à Québec. Ici la combativité et la solidarité c’est suspect. Et chaque syndicat se retrouve dans la position peu enviable de la forteresse assiégée.

Source illustrations : 1906-1006, 100 ans de solidarité, SETPQ, Québec 2006.


*L’Action catholique fut un quotidien conservateur qui s’est éteint en 1973.

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